40Th ICDPPC open session address by Isabelle Falque-Pierrotin, ICDPPC Chair

*** Seul le prononcé fait foi / Check against delivery ***

 

Madame la Commissaire, Chère Vera, Mesdames et Messieurs, Chers collègues,

C’est avec grand plaisir que je m’adresse à vous aujourd’hui en tant que Présidente sortante de la Conférence Internationale, et ouvre au côté de Vera Jourova cette deuxième journée de discussion de la session ouverte.

« Towards a Digital Ethics » – vers une éthique du numérique – voilà le thème qui sera le fil conducteur de nos échanges ce matin. Ce sujet fait bien évidemment échos aux grands débats actuels sur le développement numérique et son impact sur nos sociétés, sur ces nouvelles technologies qui fondent l’écosystème de la donnée que nous connaissons aujourd’hui.

Nous sommes réunis aujourd’hui dans un contexte assez particulier, face à des enjeux émergents ou persistants. Car comme l’a dit Tim Cook hier, « the crisis is real». La révolution numérique est une opportunité formidable, mais elle s’accompagne aussi de craintes, d’externalités négatives sur nos économies, nos sociétés et même nos modes vie.

Cette crise immédiate est celle d’un sentiment de perte de maitrise en matière de données personnelles mais aussi plus généralement du constat que ces technologies sont en train de « dérober le tissu » ou la fabrication de nos sociétés comme a pu le dire hier Tristan Harris. Cette « data crisis » n’est donc pas seulement une crise de confiance en matière d’utilisation des données personnelles. C’est le sentiment qu’une société numérique tout entière se construit sans nous : que cette société numérique opère des choix en matière de libertés, d’organisations, de vision politique, et que nous ne sommes plus maitres de ces choix.

Dans ce contexte, le questionnement éthique est légitime, et il ne se limite pas à notre seule assemblée, soyons-en conscients.

Le questionnement éthique est celui du sens que nous voulons donner à notre monde. Il porte aussi sur la méthode pour construire ce sens.

Si nous ne répondons pas à ces deux questionnements, si nous n’agissons pas via des décisions concrètes et effectives, nous ne pourrons pas collectivement garder la main sur notre avenir. Et il y a urgence et une forte attente de nos concitoyens sur le sujet. Mais ne nous enfermons pas dans un concept d’éthique trop théorique qui deviendrait finalement le vernis de notre inaction ou impuissance. Agissons!

A cet égard, la session fermée de la conférence internationale qui a rassemblé lundi et mardi de cette semaine plus de 75 autorités venues du monde entier a pris ses responsabilités et a souhaité faire entendre une voix forte dans ce chantier complexe et progressif de la construction d’une « certaine vision » de la société numérique.

Elle a d’abord mis en place un groupe permanent de contact avec la société civile. Cette dernière est une nouvelle puissance du numérique, aux côtés des entreprises et des acteurs publics. Elle devient un véritable relais dans les opinions, voire même une force de pression. Il n’est plus possible aujourd’hui de l’oublier; et la voix de cette société civile manque encore bien souvent à nos processus décisionnels. La conférence mondiale a souhaité créer ce lien permanent et cette décision illustre s’inscrit clairement dans une approche éthique de la société numérique.

Pourquoi ? Car l’éthique ne pourra pas être un principe directeur, ni même un standard commun, tant qu’elle ne sera pas le reflet d’un contrat collectif – pas seulement entre nous, régulateurs, mais entres les différentes partie prenantes qui font notre société. L’éthique, c’est construire un espace commun de dialogue et prendre des décisions sur la base de cette délibération commune. La conférence mondiale veut aller en ce sens.

Plus généralement, la Conférence Internationale des Commissaires à la Vie Privée et à la Protection des Données (ICDPPC), a décidé de se fixer un nouvel horizon, dépassant la seule organisation d’une conférence annuelle.  Les autorités membres ont adopté une feuille de route pour l’avenir de la Conférence Internationale, avec pour objectif de progressivement transformer celle-ci en une organisation permanente, plus visible, plus opérationnelle pour ses membres.  Cela peut paraitre à certains comme de la cuisine interne ! mais ce n’est pas une simple amélioration de nos modes de fonctionnement. Ce qui est enclenché, c’est le mouvement vers l’établissement d’une véritable organisation internationale de la protection des données et de la vie privée, qui pourra porter notre vision dans les grands débats mondiaux qui s’engagent. C’est un fait majeur pour notre organisation qui a été préparé pendant de nombreux mois via une consultation de la quasi totalité de nos membres. C’est aussi un signal pour le monde qui nous entoure : la protection des données est un enjeu central et opérationnel dans le monde global digital en train de se construire et les autorités vont y jouer leur rôle, celui de stabilisateur éthique et démocratique de nos sociétés.

Les autorités membres de la Conférence internationale ont eu enfin la volonté de porter des messages au-delà notre communauté. Elles l’ont fait avec l’adoption de plusieurs résolutions qui répondent à de grands enjeux contemporains en matière de protection des données.

Je voudrais insister en particulier sur notre déclaration sur l’éthique et la protection des données dans le domaine de l’intelligence artificielle. Ce texte est en quelque sorte une première application d’un effort de construction d’une éthique de la donnée.

Ethique car il est, là encore, le fruit d’un processus de plusieurs mois entre autorités de différents pays qui ont confronté leurs positions et leurs vues pour construire une position commune.

Ethique car nous avons défini ensemble les grands principes directeurs pour un développement de l’intelligence artificielle qui soit respectueux des droits des personnes, au-delà du simple périmètre de la protection des données. Ces principes font écho à bien des débats entendus cette semaine. L’information obligatoire lorsque l’on interagit avec une intelligence artificielle, le droit de s’opposer à des technologies qui ont une influence sur les opinions ou le développement personnel, sont des garanties essentielles à porter si nous souhaitons conserver l’éthique qui fonde nos modes de vie et nos sociétés démocratiques.

Avec cette déclaration, la Conférence Internationale affirme sa volonté de contribuer à l’établissement d’une gouvernance mondiale de l’intelligence artificielle,

Voilà, mesdames, messieurs un panorama à grands traits de la partie fermée de la Conférence internationale. J’ajouterai que nous avons élu une nouvelle présidente (Elizabeth Denham de l’ICO) et que les autorités des Philippines, de l’Australie et du Mexique nous ont rejoints au comité exécutif. Que mes collègues me pardonnent de ne pas en dire plus, un compte-rendu plus complet sera disponible dans la matinée.

Allow me to conclude to switch to English and to briefly react to some of yesterday’s discussion and comments of our distinguished guests.

First, CEOs of major digital companies have addressed the Conference yesterday, and we must welcome the commitment made towards privacy and ethics. As former Chair of the gathering of EU authorities, I can only be pleased to hear that the GDPR has been a major step for these companies in advancing towards more privacy, even a model. Privacy is indeed a fundamental rights. And this is not a secret to tell you that we will enforce it. That’s our role, but also our duty, to pave the way towards a digital ethics. I’m sure Andrea Jelinek, our chair of the EDPB seating behind me, will agree.

Second, I believe, ethics is no longer an option, it is an obligation. As it has been said, our current data governance is not sustainable. Without ethics, without an adamant enforcement of our values and rules, our societal models are at risk. We must act because, if we fail, there won’t be any winners. Not the people, nor companies. And certainly not human rights and democracy.

Third, let’s not lose all hope! According to our programme, we will discuss at the end of this morning how to “fix things and move quickly”. I am very much looking for this and hope that the International Conference will deliver a valuable contribution to this essential objective.

Thank you and all best for the conference!!

Discours d’ouverture de la session fermée de la 40ème Conférence Internationale, par Isabelle Falque-Pierrotin, Présidente du Comité Exécutif de l’ICDPPC

*** Seul le prononcé fait foi ***

Monsieur le Premier Vice-Président de la Commission Européenne, Mesdames et Messieurs les membres et observateurs de la Conférence Internationale, Chers collègues,

En tant que Présidente de la Conférence internationale des commissaires à la protection des données et à la vie privée, je veux vous accueillir ce matin dans ce magnifique palais d’Egmont pour l’ouverture de notre session fermée ; je veux aussi, en votre nom à tous, remercier notre hôte, l’EDPS, qui est le grand orchestrateur de notre semaine ainsi que notre collègue de la Bulgarie.

La participation cette année est à la hauteur des enjeux qui sont devant nous. Plus de 70 délégations sont aujourd’hui autour de la table, et nous sommes ravis de pouvoir également compter sur la participation d’une dizaine de membres observateurs. Dans un instant je l’espère, notre communauté va s’agrandir avec l’accréditation de quatre nouvelles autorités membres et de onze nouvelles organisations en tant qu’observateurs de la Conférence. Je vous remercie à tous d’être ici, car je sais aussi que pour plusieurs d’entre vous cela veut dire parcourir des milliers de kilomètres, mais aussi un réel investissement en termes de temps et de moyens pour votre autorité.

Une semaine dense et riche en échanges nous attend. L’ouverture de la session fermée marque le début de notre réunion annuelle. Elle se poursuivra par une session ouverte qui promet d’être un véritable point d’orgue au niveau international en matière de protection des données et de la vie privée. Le programme et les intervenants annoncés ne peuvent que le confirmer. Cette semaine, Bruxelles ne sera donc pas le centre d’attention des seuls européens, mais de l’ensemble de la communauté internationale sur nos sujets.

Nous nous réunissons cette année dans un contexte assez particulier, face à des enjeux émergents ou persistants qui font que les regards se tournent de plus en plus vers nous, autorités de protection des données et de la vie privée. Nous le sentons tous, notre monde bouge et notre parole est attendue.

Nous avons notamment à répondre à une demande et une inquiétude croissante concernant la sécurisation des données personnelles; la récente violation de données chez Facebook est à ce titre un sérieux rappel de cette exigence que nous partageons tous. Cette année a également été marquée par l’application effective du RGPD en Europe, mais dont l’impact va bien au-delà des frontières de l’Union. Et nous avons aussi pu constater au cours de l’année écoulée, depuis le scandale Cambridge Analytica jusqu’aux récentes initiatives dans plusieurs pays pour contrer les fake news et garantir l’intégrité des élections à venir, que les données personnelles étaient sorties du seul champ de la protection pour devenir un véritable enjeu de pouvoir, d’influence, voire de manipulation, au cœur même de nos systèmes démocratiques. Enfin, le déploiement de l’IA dans de nombreux pays pousse à l’extrême des questionnements sur l’autonomie des personnes ou sur la souveraineté nationale, enjeux que nous connaissons mais qui  prennent une importance stratégique nouvelle, au plan national et international.

Bref, nos sujets ont pris une dimension nouvelle et ils s’étendent à de nouvelles problématiques, plus politiques, plus éthiques. Ils se manifestent dans un environnement international qui, s’il n’a jamais été paisible, est aujourd’hui particulièrement contrasté. D’un coté, les tensions sont là, et ce y compris sur des questions qui sont au cœur de notre mission comme la localisation des données, la cyber-sécurité ou encore la surveillance de masse et les techniques de renseignement. Il est évident que différentes visions s’affrontent lorsque nous parlons de protection des données et de la vie privée. A titre d’exemple, la Chine, les Etats-Unis et l’Europe n’ont probablement pas le même objectif en la matière. De l’autre, le numérique est une opportunité de développement unique au niveau mondial, une véritable révolution. « Tech for good» ou « AI for humanity » sont désormais à l’agenda des réunions de nos chefs d’état et de gouvernement et le potentiel de ces technologies pour trouver des solutions pour l’humanité est immense.

En outre, face à cette tectonique des relations internationales, qui est avant tout le fait des états, d’autres acteurs se font entendre. Sur les questions de numérique et de libertés civiles en particulier, une société civile mondiale s’est constituée et devient un véritable relais dans les opinions, voire même une force de pression. Il n’est plus possible aujourd’hui de l’oublier ; et cette société civile bien souvent se tourne vers nous, autorités indépendantes. Dans cet environnement tourmenté, nous avons donc peut-être ici de nouveaux alliés qu’il nous faut écouter et comprendre.

Nous sommes donc face à un environnement de plus en plus complexe, nos sujets sont en haut de l’agenda politique et économique partout dans le monde. Quelles réponses allons-nous apporter à cette situation et à ces nouveaux défis ? Comment allons-nous les porter au-delà de la communauté des autorités et mettre à profit notre expertise?

Dans un tel contexte, le sujet central qui sera le nôtre ces deux premiers jours sera celui de notre propre projet collectif. Au quoi sert notre Conférence, finalement ? Comment définir un projet commun et l’asseoir sur une organisation robuste pour être en mesure de répondre aux enjeux mentionnés plus haut.  Pour cela, rien ne nous empêche d’inventer et de créer! Nous ne sommes pas une organisation comme les autres, nous pouvons donc cultiver notre différence.

A ce titre, je veux souligner que ce qui fait le caractère unique de la Conférence Internationale c’est notre présence ici, tous réunis. La Conférence Internationale bénéficie d’une solide réputation, d’un certain pouvoir « d’attraction », qui permet d’organiser l’un des moments phare de l’année au niveau international en matière de protection des données et de la vie privée. Mais c’est le rassemblement des autorités de protection des données et de la vie privée, essence de notre organisation, qui crée cet élan et qui fonde la légitimité de la Conférence Internationale. Nous pouvons le dire, sans notre présence à tous aujourd’hui, ce ne serait qu’une conférence de plus sur les nouvelles technologies et la vie privée – et elles sont légion.

Nous allons donc débattre entre nous de l’avenir de la Conférence mondiale, non pas dans un exercice autocentré, mais bien dans une perspective d’ouverture et d’intégration de notre organisation aux grands débats internationaux en matière de développement numérique, de protection de la vie privée et de préservation de l’intégrité de nos sociétés démocratiques. Nous nous positionnerons aussi sur plusieurs thèmes majeurs, choisis par les membres, notamment celui de l’éthique et de la protection des données dans le développement de l’intelligence artificielle et celui de des plateformes d’apprentissage en ligne.

Voilà notre ambition, ou à tout le moins notre direction pour cette journée et demi que nous allons passer ensemble. Nous devons aboutir, prendre des décisions au terme de ceux-ci. Choisir si nous voulons rester à l’identique, ou évoluer vers une organisation plus permanente, mettre en place une véritable gouvernance mondiale de la donnée fondée sur de nouveaux modes de fonctionnement et d’organisation. Certains peuvent penser qu’il est trop tôt pour une telle orientation. Mais puisque nous sommes aujourd’hui à Bruxelles, accueilli par l’autorité de supervision des institutions de l’Union Européenne, permettez-moi de citer Jean Monnet, l’un des pères fondateurs de l’UE : « Il n’y a pas d’idées prématurées, il y a des moments opportuns qu’il faut savoir attendre ». Peut-être que le contexte particulier dans lequel nous nous réunissons est un moment opportun pour nous transformer et continuer à avancer ? C’est en tout cas ce qu’attendent nombre de parties prenantes que nous allons rencontrer cette semaine.

Et puis, je vous l’ai dit, ne nous interdisons pas d’être inventifs ! Nous sommes encore loin d’une régulation internationale en matière de protection des données personnelles. Nous sommes le reflet de la diversité des cultures juridiques et politiques qui existent au niveau international. Faisons de cette diversité notre force, et inspirons nous des approches contemporaines qui font les technologies de l’information aujourd’hui: les réseaux et l’interconnexion. Notre avenir passe peut-être par notre transformation en réseau de réseaux.

Voilà Mr le Premier Vice-Président, chers collègues, les mots d’introduction que je souhaitais prononcer pour ouvrir notre session fermée.  Vous constatez que notre feuille de route pour cette session est bien remplie. Je souhaite que nous puissions mener celle-ci de façon confiante entre nous, en gardant à l’esprit que nous sommes attendus et que nous avons une parole à porter au-delà de notre communauté.

Je vous souhaite à tous une très bonne Conférence.

Conférence Internationale sous le thème : « La protection de la vie privée et des données personnelles : un levier de développement en Afrique »

Casablanca, jeudi 22 février 2018

Allocution de Mme Isabelle FALQUE-PIERROTIN, Présidente de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), Présidente de la Conférence Internationale des Commissaires à la Protection des Données et à la Vie Privée (ICDPPC)

 

– Seul le prononcé fait foi –

 

Monsieur le Président du Réseau Africain des Autorités de Protection des Données Personnelles,

Mesdames et Messieurs les Présidentes et Présidents d’autorités,

Monsieur le Secrétaire Général,

Mesdames et Messieurs, Chers Collègues,

 

C’est un honneur d’être parmi vous aujourd’hui en tant que Présidente de la Conférence des commissaires à la protection des données et à la vie privée. Je tiens à remercier vivement le Réseau Africain et la CNDP du Maroc pour l’organisation de cette conférence et l’opportunité qui m’est donnée de m’adresser à vous sur le sujet de la protection de la vie privée et des données personnelles en Afrique.

Le sujet des données et de leur protection est en effet de plus en plus central dans tous nos pays. L’Europe vient de se doter d’un encadrement juridique nouveau (RGPD), la Cour suprême indienne  a reconnu il y a quelques mois le droit à vie privée comme un droit fondamental,  le Congrès américain a approuvé il y a quelques semaines la ré-autorisation des programmes de surveillance des services de renseignement se fondant sur la fameuse section 702 du FISA, et ce malgré les nombreux appels au niveau international pour introduire des garanties supplémentaires.

En Afrique, ce sujet résonne avec de nombreux enjeux qui sont les vôtres, que ce soit ceux liés à l’économie numérique, à la sécurité ou à l’état de droit.

Vu de toutes les capitales,  l’Afrique numérique est en effet en marche.

Un récent rapport de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) montre que l’économie numérique connaît une croissance sans précédent en Afrique, et certains décrivent le continent africain comme la « nouvelle frontière » ou « terre promise » de la révolution numérique : en effet, si l’Afrique est la région qui affiche la plus faible pénétration de l’Internet haut débit, elle possède le taux de croissance le plus élevé en la matière, et la hausse des abonnements à l’Internet mobile s’est accompagnée d’une augmentation significative des importations d’équipements de communication. Le nombre d’abonnés à la téléphonie mobile devrait dépasser le milliard en 2020. De fait, l’Afrique semble effectuer un bon en avant technologique, le fameux leapfrog, passant de la quasi-absence de connexion directement à la technologie 4G.

  • Ces évolutions seront discutées et débattues dans le détail au cours de cette conférence, mais je voudrais partager avec vous le fait que ce contexte offre aux autorités de protection des données une opportunité singulière. L’opportunité d’intégrer le plus en amont possible la protection des données dans les plans de développement et d’assurer ainsi un cadre de confiance attendu par les consommateurs et les investisseurs.

Plusieurs raisons vont dans ce sens.

La confiance repose tout d’abord sur les systèmes d’information qui vont être mis en place pour cette économie numérique et les conditions dans lesquels les flux de données, commerciales notamment, circulent. Or, assurer la protection des données personnelles c’est d’abord assurer leur sécurité. Et à l’heure des failles géantes et répétées comme celle ayant affecté les comptes de millions d’utilisateurs de Yahoo, celle des poupées connectées en Europe, ou encore la faille du « Master Deeds » en Afrique du Sud, nous voyons que cet impératif de sécurisation des données est devenu une priorité partout dans le monde.

La confiance est également nécessaire du côté des usagers et des consommateurs. A l’heure du numérique et de la volatilité croissante des mobinautes, un tel facteur est de plus en plus déterminant pour les affaires. Dans tous les pays, les consommateurs comparent, la société civile commente et, le cas échéant, se mobilise.  Dès lors, c’est par la définition d’un cadre juridique qui garantit les bonnes relations entre les utilisateurs et les opérateurs, les conditions de l’exportation des données ou de la sous-traitance que l’économie africaine pourra se développer.

D’ailleurs, cette transparence sur l’utilisation des données, cette responsabilisation accrue pour ceux qui les traitent, c’est aussi la philosophie du règlement général sur la protection des données (RGPD) ; par ce texte, les européens expriment la conviction que la protection des données peut constituer un véritable avantage concurrentiel dans une économique numérique globalisée de par la confiance accrue des consommateurs qu’elle suscite.

J’aimerais  que vous puissiez partager cette conviction et convaincre vos gouvernements et vos entreprises de sa pertinence.

L’Afrique peut aussi tester des modèles plus innovants autour des données qui répondent mieux aux exigences ou contraintes spécifiques de son marché : des technologies et applications moins consommatrices en données et construite sur la base d’une architecture nouvelle, plus décentralisée et multipolaire. D’aucuns parlent d’une « innovation frugale » et ces nouvelles approches peuvent séduire au-delà du continent africain tant elles résonnent avec des principes comme celui de minimisation des données en Europe par exemple.

Finalement, et à la différence d’autres régions du monde où les écosystèmes héritent d’un passé souvent lourd à faire évoluer, l’Afrique peut faire de son rattrapage numérique un véritable argument en faveur d’un modèle de protection des données très innovant,  protection prise en compte en amont dans sa stratégie numérique et lui apportant le cadre de confiance indispensable pour ses consommateurs ou investisseurs.

  • Les autorités de protection des données ont un rôle central à jouer dans ces évolutions.

Elles commencent à se mettre en place dans les différents pays au fil des lois qui sont adoptées sur le sujet. Nous avons pu voir une évolution positive et rapide dans de nombreux pays africains, avec l’adoption progressive ces dix dernières années de nouvelles lois sur la protection des données, la création d’une douzaine d’autorités de contrôle et la création récente du Réseau Africain. Tout ceci est la preuve que ce développement règlementaire peut aller vite et de manière effective.

Mais de grandes économies africaines comme l’Ethiopie ou le Kenya, ou des pays en pointe dans le développement numérique comme le Rwanda, ne disposent à ce jour ni de législation spécifique, ni d’autorité indépendante pour garantir le droit à la vie privée et à la protection des données personnelles.

En outre, lorsqu’elles existent, il est essentiel que les états donnent à leurs autorités nationales les capacités et les moyens pour remplir leurs missions. Cette exigence ne se pose pas uniquement ici en Afrique, nous devons la défendre également en Europe et ailleurs dans le monde.

Il y a naturellement un effort pédagogique à mener auprès des gouvernements mais aussi des entreprises pour faire passer ce message. Trop souvent, nos autorités sont perçues comme des contrepouvoirs agaçants, des empêcheurs d’innover en rond. Trop souvent, la protection des données est exclusivement identifiée comme un enjeu de droit de l’homme et certains s’en méfient ! Il faut clarifier notre positionnement : notre métier, n’est pas celui de la liberté d’expression même si il lui est intimement lié. Il est de favoriser l’utilisation des données personnelles par les acteurs publics ou privés mais en respectant les droits des personnes. En matière de développement numérique, nous pouvons aider, nous  ne sommes pas un obstacle au développement ou à l’innovation ;  au contraire, nous les accompagnons et nous aidons à construire une innovation plus durable car respectueuse des personnes et plus sécurisée.  Dans la période qui a débuté en 2011, post-Snowden,  les individus sont demandeurs de garanties accrues sur le traitement de leurs données, que ce soit par les gouvernements ou les entreprises.

Vous pouvez donc être des partenaires légitimes de la révolution numérique africaine, en respectant votre rôle et vos attributions spécifiques, y compris pour favoriser l’innovation et la libre circulation des données. Le pari européen en la matière avec l’application effective du RGPD pourra, je l’espère, en faire la démonstration pour d’autres régions dans le monde.

Au-delà de l’économie numérique, les autorités de régulation ont un rôle essentiel à faire valoir dans la mise en place et la défense d’un état de droit. Le monde est de plus en plus global et nous partageons des enjeux communs comme la lutte contre le terrorisme. Mais, comme le groupe des autorités européennes a pu le dire dans son avis sur le Privacy shield, il faut que des garanties essentielles soient respectées lorsque les Etats ou leurs services de renseignement ont accès aux données des citoyens. Si les pratiques et cultures peuvent différer d’un pays ou continent à l’autre, l’on voit bien que le respect des droits des personnes est une revendication croissante des populations, une société civile internationale se met progressivement en place, et nos gouvernements doivent en prendre la mesure.

Là aussi, les autorités africaines doivent être considérées comme un partenaire dans le développement de l’usage régalien des données personnelles, en jouant leur rôle d’aiguillon pour que soit maintenu le cadre démocratique et le pacte sociétal qui s’impose aux gouvernements.

Donc, que ce soit vis-à-vis des entreprises comme des autorités publiques, les autorités africaines de protection des données africaines, ont, j’en suis convaincue, un fort intérêt à consolider ce rôle de partenaire, ce qui leur permettra d’accompagner au mieux la prise de conscience politique au niveau régional des enjeux relatifs à la protection de la vie privée et des données personnelles.

Le travail en cours au sein de l’Union Africaine pour la définition de lignes directrices sur la protection de la vie privée et des données personnelles est à ce titre une opportunité à saisir. A l’image du G29 en Europe, le RAPDP peut devenir l’interlocuteur privilégié des organisations supranationales africaines, pour que la révolution numérique en Afrique soit aussi un catalyseur pour l’innovation et le renforcement des droits des personnes.

  • Tous ces développements justifient que l’Afrique soit plus présente dans la communauté mondiale des autorités de protection des données et y fasse entendre sa voix. Qu’elle puisse prendre part au débat sur les modèles de gouvernance à définir au niveau international.

Cette communauté des autorités existe depuis environ 40 ans. Elle se traduit jusqu’à présent principalement par l’organisation d‘une conférence annuelle qui voit ses membres régulièrement augmenter : près de 120 membres en 2017 àong-kong Hong-Kong en octobre dernier. En filigrane de cette manifestation se nouent aussi depuis quelques années des relations plus opérationnelles entre les membres, sur les contrôles ou sanctions communes, sur l’éducation au numérique.

Face à ce foisonnement de membres, face aux besoins croissants de bénéfices plus opérationnels qui s’expriment entre eux,  la Conférence mondiale s’interroge aujourd’hui sur sa stratégie, sur son identité propre dans le monde numérique transfrontière. Ce questionnement n’est pas une remise en cause du passé mais il illustre plutôt la nouvelle maturité de cette enceinte qui se vit de plus en plus comme un réseau, à l’image de l’organisation du monde numérique. D’ailleurs, c’est là que réside notre force : les enjeux et défis que j’ai pu mentionner ne peuvent être relevés que si les autorités de protection des données sont capables d’agir ensemble, à la même échelle que les acteurs numériques que nous connaissons et de bâtir un écosystème de régulation combinant l’échelle mondiale et régionale.

Dans ce contexte, nous avons besoin d’entendre la voix de l’Afrique, de ses besoins et de ses spécificités. A cet égard, l’élection de Marguerite Ouédraogo au sein du Comité exécutif de la conférence internationale est un signal fort. Je me réjouis  aussi que le Réseau Africain consacre une partie de son assemblée générale de demain à la réflexion stratégique sur l’avenir de la Conférence Internationale, un processus qui pourra j’en suis sûre aussi servir les objectifs de développement et de coopération entre les autorités africaines.

La Conférence internationale doit être envisagée comme un forum ouvert et continu de dialogue et de coopération entre autorités au niveau international, s’articulant avec les forums régionaux. Ce dialogue se traduit par une approche de plus en plus multilatérale, où chaque pays ou région peut être entendu et faire valoir son modèle. Les solutions qu’appellent le numérique sont d’ailleurs souvent à l’intersection de plusieurs cultures juridiques et elles se nourrissent des contraintes des uns et des autres, qui nous poussent à innover.  Nous pouvons tous en tirer parti mutuellement, les autorités nouvelles comme les plus anciennes. Et nous pouvons être plus efficaces dans nos objectifs de développer des outils communs afin que les différents cadres juridiques existant en matière de protection des données puissent « se parler » et « s’entraider ».

Le RAPDP, en grandissant et en s’affirmant au sein de ce forum mondial pourra également contribuer à l’émergence d’une souveraineté numérique africaine bénéficiant au développement et aux droits de chacun.

Enfin, faire entendre la voix de l’Afrique est aussi essentiel pour nos discussions de fonds. Je pense ici en particulier aux questions relatives aux algorithmes et à l’intelligence artificielle. Nous attendons avec impatience vos contributions futures sur l’ensemble de ces sujets.

 

Conclusion

Chers amis, je me réjouis de ce moment que nous allons passer ensemble. Je tiens à remercier à nouveau vivement nos hôtes marocains. Je suis sûre que nous allons apprendre beaucoup les uns des autres.

Je souhaite pour terminer ajouter un dernier élément qui je l’espère pourra alimenter nos discussions aujourd’hui : un des atouts majeurs pour l’Afrique dans cette révolution numérique c’est probablement sa jeunesse, qui s’empare des nouveaux usages et invente de nouveaux modèles de coopération et d’innovation. C’est un atout que les autorités africaines devraient également prendre en compte en l’accompagnant, notamment en s’ouvrant encore plus sur les relais que peuvent représenter les organisations de la société civile, pour soutenir ensemble le développement numérique de l’Afrique.

Je vous remercie.